N°23 - Mars 2003

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Le mot du Président des anciens du Groupe Lourd

Le début du bombardement stratégique.

     Votre président m’a demandé de rédiger cet éditorial. J’en ai été très honoré et me propose de vous parler de notre ancien métier et de son évolution première.
     A ce sujet, pourquoi ne pas situer le début des bombardements stratégiques en 1917 par le survol de Paris par les Zeppelin allemands ?
28 ans après, c’était Hiroshima ; l’évolution a été rapide. Et, pour être plus d’actualité, que dire des opérations actuelles des drones américains, basés à Djibouti, télécommandés du Colorado et attaquant des voitures, repérées sur les pistes de l’Afghanistan ?
     Revenons à nos débuts. Après la 1ière guerre mondiale qui avait vu l’essor incontournable de l’aviation, un général italien, nommé Douhet, avait développé une théorie, révolutionnaire à l’époque, prônant l’importance primordiale de la suprématie aérienne, obtenue évidemment par la maîtrise de l’air.
     Ces idées ne furent guère prises au sérieux sauf, peut-être, par les Anglais qui venaient de créer la Royal Air Force. La Grande-Bretagne est en effet, de par son insularité, le terrain idéal qui justifie un développement particulier de l’aviation, comme cela s’était passé auparavant pour la Marine.
     Dirigée par Lord Trenchard, la R.A.F. s’est affirmée comme novatrice dans tous les domaines alors que les Armées de l’Air française et américaine, n’étaient encore pas créées.
     La RAF s’est attaquée la première aux problèmes du vol « tout temps » qu’il lui fallait résoudre, vu les conditions météo du pays. Dès 1930-35, elle s’est fixée un programme d’avions modernes et évidemment ambitieux. Ceux qui ont vécu cette époque doivent se souvenir des critiques, sinon des moqueries qu’on pouvaient lire dans les journaux parisiens, tel l’ "Intransigeant", au sujet des avatars et des nombreux accidents dont étaient victimes les « Blenheim » et les « Wellington ». Ces derniers, en particulier, ont permis à la RAF de définir un modèle d’avion stratégique déjà capable d’aller bombarder Berlin. Il ne lui restait plus qu’à améliorer les performances avec les « Halifax » et les « Lancaster » . Aucun programme analogue n’existait en France et les Américains ont misé sur les "Forteresses volantes ", utilisées de jour.

     Il faut dire que les expériences françaises avaient déçu un Commandement peu enclin à jouer la guerre aérienne. A Cazaux, le général Tétu, appliquant les principes de l’Artillerie, avait déterminé l’ « écart probable » correspondant à différents types de bombardement et en avait sorti des « tables de tir » qui donnaient des effectifs aériens jugés exorbitant vis à vis du résultat. De quoi affoler les responsables et les comptables du Budget de l’Air. Et pourtant, quand on a demandé aux responsables de la RAF, comment ils avaient fait pour déterminer les effectifs des missions de bombardement, ils ont répondu : « mais nous avons appliqué les tables de tir du général Tétu ».
     Encore fallait-il organiser ces armadas de 400 – 800 – 1000 avions. La première des priorités était la précision de la navigation. Elle a été résolue par l’utilisation de la boite « Gee ». Les « streams » sont devenus denses, à l’heure à la minute près, et navigant sur des itinéraires en zig-zag pour leurrer l’ennemi.
     Il fallait ensuite trouver des objectifs « payants » : aérodromes, usines d’armement, nœuds de communication, ouvrages d’art, tout cela était évident mais on s’est vite aperçu que le point faible de l’Allemagne était son ravitaillement en essence et en particulier les usines de production d’essence synthétique. Car comment vivre sans essence ?
Dans ces conditions, le bombardement stratégique ne pouvait que gagner la guerre.
                                                                                  Général BOE


N.B. Au sujet des « Wellington » et de l’aide apportée par les bombardiers aux chasseurs, la RAF n’omet pas de souligner l’exemple de la « Bataille d’Angleterre », d’août et septembre 40. Alors que le « Fighter Command » était submergé par les attaques allemandes sur les bases et les radars et à bout de souffle fin août 40, Churchill a eu l’idée de faire bombarder Berlin par ses quelques cent Wellington. Beaucoup n’arrivèrent pas au but et les dégâts sur Berlin insignifiants. Mais, cela tombait sur un Berlin en liesse de sa victoire et Hitler fit un discours furieux, promettant de détruire Londres. Du 7 au 15 septembre, ce fut le grand « blitz ». Les spitfire, ayant récupéré leurs bases et leurs radars et n’ayant plus de gros problèmes d’interception firent une hécatombe (180 avions le 15/9/40). Il ne fut plus question pour les Allemands de débarquer en Angleterre.


  " GISELLA "   

La nuit du 3 Mars 1945 « les Intruders de nuit sur les Iles britanniques »
Ce 3 mars 1945, à la tombée de la nuit, 13 Halifax III de chacun des squadrons 346 et 347 décollaient d’Elvington pour rejoindre le stream des avions qui allaient attaquer à 30 miles de Dortmund l’usine de carburant synthétique de KAMEN.

      La fin de la guerre semblait proche, les alliés étaient en Hollande sur les bords du Rhin et aux frontières de la Prusse et de la Silésie. Cependant les défenses anti-aériennes du Reich étaient toujours aussi puissantes ; l’efficacité de la D C A ne semblait pas entamée et la chasse de nuit équipée du remarquable JU 88 G se montrait toujours agressive et redoutable. Elle n’était pas seulement menaçante dans le ciel allemand et l’on pouvait très bien la rencontrer au-dessus de l’Angleterre. Dès la fin de 1940 la Luftwaffe avait lancé quelques opérations de chasse de nuit sur la Grande Bretagne. Les « intruders » (pour « intrus ») devaient se mêler au flot des bombardiers partant en mission ou en revenant et agir lorsque ceux-ci décollaient ou se préparaient à atterrir avec leurs feux et les balisages de pistes étaient allumés ce qui en faisait des cibles idéales. 
      Effectuées de façon sporadiques et avec de faibles moyens, les résultats furent peu probants et ces opérations ne furent pas poursuivies, elles avaient complètement disparues avant juin 1944 et pourtant…..
      Précédés des Lancasters et des Mosquitos des Pathfinders, les 201 Halifax qui allaient attaquer KAMEN se dirigeaient côte à côte dans la nuit noire vers leur objectif, dans un vol qui semblait interminable comme d’habitude ! Enfin le stream arrivait à l’objectif, une épaisse colonne de fumée noire montait déjà dans ce ciel embrasé par les éclatements violents de la DCA et par les projecteurs balayant le ciel, tandis que descendaient lentement les grappes rouges, jaunes et vertes des marqueurs que venaient de lâcher les Pathfinders ; ce spectacle féerique semblait complété par les incendies qui s’allumaient au sol. 
      Le bombardement s’est effectué apparemment avec peu de pertes, maintenant les Halifax sortis de l’enfer ont pris le chemin du retour qui passe au sud de la Ruhr et assez loin de ses terribles défenses. Tout est calme, trop calme dans cette nuit où pas un chasseur ne s’est signalé, ce qui était tout à fait inhabituel.
      En réalité tandis que les bombardiers approchaient des Iles Britanniques et que l’on apercevait déjà le balisage de l’énorme terrain de secours de WOODBRIDGE, les 142 Junkers 88G franchissaient aussi, tous feux éteints 

la côte anglaise entre le SUSSEX et le YORKSHIRE. L’opération GISELLA était engagée. 
      Laissons maintenant la parole à un des acteurs du drame qui allait suivre, le bombardier co-pilote d’un Halifax du Squadron 347 qui fut abattu tout près du terrain d’Elvington :
      « Au passage de la côte Anglaise les bombardiers devaient allumer leurs feux de position, mesure indispensable pour éviter les collisions, tant était grand l’enchevêtrement des avions regagnant leur terrain,, c’était aussi offrir de superbes cibles aux éventuels « intruders ». A peine ces feux allumés apparurent dans la nuit - par hasard sans nuages - des traînées lumineuses rouges et vertes qui ressemblaient fort à des traçantes, elles furent suivies rapidement de boules de feux insolites ! C’est alors que nous subissons la première attaque détectée aussitôt par le mitrailleur arrière qui commande la manœuvre évasive. La maîtrise du pilote dans les actions de dégagement nous évita les balles du chasseur allemand qui venait de tirer.       Sur les ondes du contrôle d’aérodrome nous entendons le message   «bandit » mot code annonçant la présence de l’ennemi dans notre ciel et simultanément les appels « may day, may day » des équipages en détresse.
      Nous avions pris le cap pour Elvington conformément aux consignes en pareil cas, et nous sommes l’objet de deux nouvelles attaques quand nous arrivions à la verticale du terrain. La tour nous préviens aussitôt de la présence d’un chasseur allemand en tour de piste et éteint le balisage, elle nous demande de nous éloigner au plus vite en prenant de l’altitude , c’est ce qui nous sauva…. Quelques secondes après dans un fracas terrifiant l’avion fut secoué par un choc d’un violence extrême et partit en embardée sur la gauche comme soulevé par une force irrésistible tandis que nous étions aveuglé par une lumière intense. Nous venions de subir un attaque par-dessous, impossible à détecter, les deux moteurs droits et le plan droit étaient en feu, l’avion était touché à mort. Maintenu désespérément en ligne de vol par le pilote pour permettre à l’équipage d’évacuer, le Halifax vola environ 30 secondes, six membres purent sauter mais il partit en piqué entraînant dans la mort le Pilote resté à son poste pour sauver son équipage.
      Cette nuit là, 36 quadrimoteurs furent abattus sur l’Angleterre, dont 3 des Groupes Lourds. Les Allemands perdirent 34 avions pour des raisons diverses, crash, panne de carburant….
Ce fut le chant du cygne pour la Luftwaffe. 

                                                                                       Roger MICHELON 

Prochaine réunion ANFAS
Mérignac
Le Jeudi 15 mai 2003