N°45 - juillet 2006

L’équipe de rédaction : C.Auzépy christian.auzepy@wanadoo.fr
Site anfas : http://anfas.free.fr

 

Le mot du Président

        Dès 1964, un état d'esprit s'est insinué petit à petit sur les bases FAS. Les terrains sur lesquels les Mirage IV armés et les C 135 F à la soute ultra pleine étaient en alerte, se devaient d'être dans l'esprit FAS : les avions doivent décoller en 5 minutes. (Ce délai passera à 15 minutes par la suite). Sur l'ensemble de la plate-forme, les hommes et les femmes dans la vigie, à l'approche, dans la salle de permanence des pompiers, de même que l'OPO, le SOPO, le mécanicien téléaffichage et le permanent des transmissions en ZTO, tous avaient le même esprit que l'équipe qui était en ZA : l'avion doit être en l'air dans les délais. Chacun se sentait une part de responsabilité dans les minutes de ce décollage.
        Les ordres transmis depuis le COFAS par le système du téléaffichage pour les exercices en ZA, en ZTO et à l'approche, entretenaient cette réaction d'urgence. Et les évaluations que subissaient ensemble la base et les escadrons FAS vérifiaient la réalité de cet état d'esprit. Les FAS ont rythmé la vie, nuit et jour, week-end et jours de semaine, du personnel en alerte sur des bases très opérationnelles.
        Il n'y avait pas de place pour le romantisme ni pour la poésie dans cet état d'esprit. Car c'était aussi cela la dissuasion : être dans les temps des ordres. Après... il y avait les équipages qui savaient leur mission, connaissaient l'objectif à atteindre : retrouver des copains dans un vaste coin de ciel pour faire un très, très gros plein de kérosène, filer à 520 kt ( 900 km/h ou 260 m/seconde) à 150 m du sol vers un objectif qui n'avait rien de militaire, dans une immense solitude à trois, mon copain, le pilote, moi, le navigateur bombardier et notre avion, le Mirage IV A.
        Le personnel de cette période d'alerte permanente a conservé l'ambiance de ces « quelques minutes pour décoller ».
Lorsque nous nous retrouvons, nous reprenons nos conversations de cette époque et nous ressentons l'impression de nous être quittés la veille.

Cordialement à tous.

                                                         Jacques Pensec

 


 

 

"L'EPREUVE" PHOTOGRAPHIQUE

        Dans les années 70, le CIFAS 328 de Mérignac reçut la mission d’expérimenter intensivement le Containeur de reconnaissance photo CT52 du Mirage IV (6 mètres de long, 8 caméras). Quatre avions furent simultanément équipés et les équipages désignés et formés.

        Trente années plus tard le système allait faire parler de lui, en réalisant les plus importantes opérations de reconnaissance stratégique au-dessus de territoires lointains (Afghanistan, Irak, Koweït, Tchad) après que les américains eurent retiré du service leurs U2 et SR71.

        C’est l’une des missions « Expé », un peu particulière, des années 70 et à laquelle j’ai participé, que je veux décrire aujourd’hui.

------------ * -----------


        Nous roulons précautionneusement vers la piste de décollage, afin de ménager les pneumatiques : l’avion pèse environ 33 tonnes - 5 bidons : 2 bidons de 2.500 litres de carburant, 2 pods de 600kgs CT51 de contre-mesures électroniques et le « pod » photo de 800kgs, soit la masse Max autorisée. Il fait encore nuit, et nous devrons opérer au petit matin, à basse altitude, à la sortie du détroit du Bosphore.

        Mon navigateur, Hiron, dit « Le Yéyé » , me dit que tout est OK derrière. On respire un grand coup, et j’affiche la pleine puissance PC PC. La course du décollage n’en finit pas et la tension est palpable.
        A 190 noeuds, lever de la roulette de nez et rotation souple. La main gauche, vigilante, est demeurée dans le secteur des manettes de puissance, du levier de rentrée du train et des boutons de largage des charges extérieures de voilure.
        Enfin 320 noeuds ; nous reprenons une respiration normale, et entamons, à 400 noeuds la montée vers le sud-est. Au dessus des nuages, la clarté de l’aube naissante de ce mois de juin 1973, offre ses couleurs enchantées. Mais voici bientôt la Corse et le contrôle de Solenzara, qui autorise une descente autonome, et nous interroge sur la suite de notre mission : « Nous poursuivrons sur la mer à basse altitude, vers l’est, et rappellerons dans…quelques heures ». Silence poli du contrôleur….sans doute prévenu succinctement par le COFAS.
 

        J’établis une croisière confortable à 430 noeuds et 800 pieds sonde (hauteur au dessus de la mer), tandis que le navigateur prépare ses trajectoires vers les secteurs de recherche indiqués par la « Royale » (la Marine française), pour qui nous opérons aujourd’hui : nos objectifs sont des croiseurs soviétiques de la classe KRIVA et KRESTA, fraîchement sortis de la mer Noire (et de ses chantiers navals) et dont on veut identifier les nouveaux équipements ( antennes des COM, des systèmes d’armes sol-air, sol-mer , etc.) .
        Nous avons beaucoup de chance, et identifions plus tôt que prévu, un rassemblement suspect de navires, 90 miles nautiques à l’ouest de la Crête. Restant à grande distance, nous changeons d’azimut plusieurs fois pour évaluer l’importance relative de chaque écho radar et obtenons une confirmation raisonnable des coordonnées et routes données par la Marine.
        Mais il est temps de remplir l’avion. La « baleine », (notre C135F ravitailleur..) est en attente au sud du Péloponnèse, à 28.000 pieds. La rejointe est discrète et sans problème, dans un ciel parfaitement clair (c’était d’ailleurs la principale condition de la mission car nous n’avons pas de Plan de Vol, donc pas d’existence officielle). Accroché dans le panier pour 10 longues minutes (débit : 1 tonne par minute..) j’échange quelques amicales paroles avec le pilote du tanker, un ami qui m’a identifié, tout en exécutant avec rigueur la procédure de RVT. Pas de problème : les radios UHF sont munis d’atténuateurs, notre conversation ne peut être captée à plus de 200 mètres. Nous confirmons aussi l’heure du prochain RVT.

        Descente vertigineuse vers la route de l’objectif mémorisé. Au ras de la mer, 80 miles nautiques avant, nous préparons nos éléments d’approche : toutes contre-mesures électroniques - Mangouste, Agasol, Agacette et Mygale en veille - vitesse 500 noeuds, altitude 500 puis 300 pieds, sonde réglée, radar sectoriel et intermittent.
       J’ai la vue d’un long bâtiment très fin et ajuste la trajectoire pour venir exactement de face. Hiron qui coupe son radar, me confirme que ce qu’il voit dans son hyposcope inférieur est bien notre objectif, un croiseur lourd KRIVA, qui navigue au 240 (vers la Libye ?).

        Ma tactique est de survoler le bâtiment dans l’axe et très bas, utilisant la caméra nasale et la verticale BA de 75 mm de focale. La restitution ultérieure montrera les pales de ventilateurs dans les cheminées, et l’équipage allongé en maillot de bain, prenant le soleil ! Surprise totale. Dernier coup d’oeil intérieur : 520 noeuds, et silence sur la boite de détection des menaces…. qui va se mettre à clignoter furieusement 10 secondes après le survol ! Trop tard Yvan ! (J’ai savouré la vue du drapeau soviétique ...) Nous nous éloignons route 150, en ignorant la tentation de mettre les CM sur Actif. (Ah ! l’image mentale de la Mygale lâchant des jets de venin…) Il ne faut pas dévoiler les caractéristiques des dispositifs de Contre Mesures.
        La 2ème manche consiste, après un long éloignement plein sud, (200 Kms) à revenir par le travers cette fois …   J’ai la vue du bâtiment en approche, Hiron également, avec son Dispositif Optique Asservi et, soleil dans le dos, distingue parfaitement tout un tas d’antennes fort intéressantes, que va immortaliser la caméra nasale de 150 mm. Quelques clignotements sur la boite CM montrent une phase de recherche, mais pas d’accrochage de conduite de tir.

 

        Nous remontons vers 15.000 pieds, route au sud et, en régime économique, recherchons les autres proies : les marins ont bien fait leur travail, car le Yéyé repère un autre raid, bien plus au sud, sur lequel il travaille pour lever l’incertitude, photographie son scope et mémorise les coordonnées.

        Mais il est temps de ravitailler une 2ème fois : il y a cette fois un peu de cirrus et de turbulence ; le panier qui s’agite devant ma perche me rend méfiant et attentif (un sage disait que le RVT en vol est une école de patience et de modestie …) et il n’est pas question d’un déroutement à l’étranger avec notre panoplie d’appareils photos ! Mais tout se passe bien : 9 ,5 tonnes servies : le C135 tient 305 noeuds et - 1800 pieds/minutes en toboggan, mais j’ai l’une des PC allumée à mi secteur et l’autre au mini …pour le cas ou !
       Je savoure l’une des expressions de René Bigand, (le fameux pilote d’essais), qui avait le sens de la formule, a propos du RVT en vol : « …il s’agit bien d’enfiler des perles avec des doigts d’agriculteur ».

        Nouvelle plongée kamikaze vers notre 2ème objectif et mêmes tactiques. Chance inouïe : c’est un croiseur KRESTA, entouré de quelques destroyers, et des inévitables (faux) chalutiers bardés d’antennes
       Puis un nouveau cycle de recherches est entrepris, sans résultats. Nous commençons à fatiguer et le Yéyé déballe un casse-croûte, tandis que j’avance l’heure du 3ème Ravitaillement, en lorgnant sur deux pommes qui mûrissent sur l’auvent. Je sors ma gourde à thé pour calmer mon estomac (déjà plus de 6 heures de vol…) En avance sur ma prévision de consommation, j’allume un moment les deux PC, à 500 noeuds, et me précipite vers le niveau du tanker, sous un angle de montée généreux ! ça réveille !sous un angle de montée généreux ! ça réveille !

        Le dernier RVT est paisible : notre « baleine » nous aura donné quasiment 30 tonnes au total. Il nous faut cheminer à basse altitude vers Solenzara, pour créer ensuite, avec un contrôleur rassuré, un vrai plan de vol en altitude, vers Mérignac (notre home Base). Long retour (ah ! les pommes !) Un peu de brumasse nous oblige à une finale radar GCA.
        Au parking , la chaleureuse équipe de mécanos nous attend avec intérêt, tandis que l’équipe photo, semble sur des starting block, impatiente de me voir couper les réacteurs, afin d’ouvrir le container, et récupérer les précieuses bobines de film.

        Je descends du Mirage IV, et observe le sourire fatigué du Yéyé sortant de sa cabine obscure et inconfortable. J’ai un peu envie de risquer, après 7 h 35 de vol, la plaisanterie « Ah ! C’était toi derrière? ». Mais j’ai aussi envie de le prendre dans mes bras avec émotion, tant il a peiné pour nous offrir une mission si réussie…. Car j’ai eu la plus belle part : du pilotage pur, certes exigeant, mais comme… d’habitude. L’équipe photo nous prévient qu'elle a développé des kilomètres de film. Des spécialistes s’affairent autour des tables d’interprétation, la loupe d’horloger vissée à l’oeil ou plongés dans les dictionnaires d’armement. Voici les preuves photographiques ! Un Mirage IIIB est en alerte pour acheminer les dossiers à Paris .Tout le monde est «jouasse » et se tape dans le dos !
 

                                                                 Larrayadieu