N°6 - Mars 2000

ANFAS Contact, dans sa rubrique " grandes et petites histoires du bombardement ", publie une nouvelle d'un de nos grands anciens, mécanicien sur Maraudeur. A lire.
L'équipe de rédaction. C.Auzépy-Thor-11 r. Chanez-75781 PARIS 16° 

Le mot du Président

Il y a 2000 ans avant notre ère, à l'époque de l'âge de bronze, des hommes ont laissé des repères et des signes dans la pierre, le long de la vallée des Merveilles. Cette vallée est située à 80 km au nord de Nice, au pied du mont Bégo ;
Aujourd'hui, en l'an 2000, la signification de ces signes et repères n'est pas connue et fait l'objet de recherches par de nombreux scientifiques.
Dans la revue " Ciel et Espace ", en date du 1er avril 4000, un scientifique passionné écrit cet article : " A la fin du 2eme millénaire des hommes ont effectué des travaux gigantesques au pied du Mont Ventoux, au nord d'un gros bourg de nos jours disparu et qui se nommait Apt. Les scientifiques ont mis à jour deux galeries souterraines de près de 2000 mètres avec d'énormes portes et des tas de sable aux fonds de boyaux.. Ils ont également retrouvé 18 puits, disséminés autour de l'ancien village de St-Christol. Ce site colossal a été réalisé à l'époque de l'ère nucléaire, vers la fin du 2ième millénaire. que nous situons entre les années 1966 et 1999 notre ère,"
Ce scientifique suppose que l'objectif de ces travaux souterrains était de permettre à des astronomes de capturer les étoiles et de mesurer l'intensité des flux de neutrons d'une source céleste lointaine.
Il n'a pas en sa possession la collection complète d'ANFAS Contact.

Le 29 avril de l'an 2000, l'Association Nationale des Forces Aériennes Stratégiques, réunit son assemblée générale au musée de l'Air et de l'Espace. Nous invitons tous les membres de l'ANFAS à nous rejoindre en ce printemps 2000. 
Plus particulièrement, cette assemblée inaugurera le nouveau hall des SSBS et cette matinée sera dédiée aux femmes et aux hommes qui ont écrit l'histoire du Plateau d'Albion.

Nous leur proposons un programme très ouvert :
Une conférence sur " la part des missiles militaires dans la conquête de l'espace ",
L'inauguration du nouveau hall de l'Espace et de l'exposition SSBS,
Comment laisser des signes dans la pierre de St-Christol pour les générations à venir.

Nous savons depuis un siècle sauver la Technique, mettre sous cloche les produits de notre matière grise. Le musée qui nous accueillera ce 29 avril, est une très belle réussite. Il met aujourd'hui à la portée de tous, les moyens pour comprendre demain l'histoire de l'aviation et de la conquête de l'espace. Il sera présent très longtemps dans le futur lointain. Nous le lui souhaitons.

La reconstitution du site des SSBS au Bourget est une reconnaissance du travail effectué par les équipes de l'Armée de l'Air, de l'Aérospatiale et du CEA, pour ne parler que des grands maîtres d'œuvres. Mais ces grands noms dissimulent des hommes et ce sont ces hommes qui doivent, par votre présence ce jour-là, rentrer dans l'histoire. L'histoire technologique n'a sa totale signification que si l'âme des hommes qui l'ont faite est présente.

Comment ne pas " oublier " Rustrel et le pays d'Apt dans cette écriture de votre histoire ?
Il me semble que l'exposition du Bourget n'aurait pas entièrement son sens sans un lien avec le pays de la base aérienne 200 de Saint-Christol d'Albion.
Tels les hommes de la Vallée des Merveilles, il nous faut laisser des traces pour expliquer votre travail et le sens de votre passage dans ce magnifique paysage. Graver votre histoire dans la pierre de Rustrel, cela doit être entrepris par vous, par nous : il n'y aura personne derrière vous pour le faire !
Pour cela nous avons besoin d'être ensemble car, comme dit un proverbe de l'âge de bronze :

" les Merveilles sont accomplies par les hommes unis ".

Je vous donne rendez-vous le 29 avril au Bourget pour un devoir de mémoire.
Jacques PENSEC

REUNION ANFAS au BOURGET

Le SAMEDI 29 AVRIL 2000


Un vol au quotidien... Sur Maraudeur

Nous sommes en février 1945.

Depuis plusieurs semaines le thermomètre descend le matin autour de moins 14°C. La " quille " de rouge gèle, le pain du casse-croûte devient un vrai pavé. 
Une fois de plus la mission vient d'être annulée. Paraît-il qu'en Alsace il fait un temps affreux. Pourtant, aujourd'hui à Lyon le soleil brille dans un ciel serein. C'est exceptionnel.
Les ordres changent. Les armuriers larguent les quatre bombes inertes sur un sol si dur qu'elles ne l'entament pas. Pour maintenir l'entraînement des équipages, il faut voler, voler toujours, le plus possible. Donc dès l'après-midi, vol libre. C'est l'équipage du Commandant ROLLAND (abattu plus tard au-dessus des ponts du Rhin) qui va voler sur l'avion dont j'ai la responsabilité : le B26 n°63.
Longtemps à l'avance, je fais le " pré-flight ", purge les réservoirs, les " carbus ". Quel problème que cette eau dans l'essence ! Les grandes citernes sont ravitaillées en fûts de 200 litres par des prisonniers Allemands qui ne prennent aucune précaution et en rajouteraient même, si possible. Le soutier purge plusieurs fois la citerne du G.M.C.au cours d'un plein. Rien n'y fait. Le soir, juste avant l'arrêt des moteurs je dois actionner pendant trois minutes " l'oil-dilution " qui injecte du carburant dans les réservoirs d'huile pour que celle-ci reste fluide car, les manettes de gaz étant bloquées par le gel en plein ouverture, les moteurs au démarrage grimpent illico et dans un grand sursaut à 2.700t/mn. La mécanique a quand même bon caractère ; je souffre pour elle ! Quelques minutes ainsi et, la chaleur aidant, je peux réduire le régime.
Tout est O.K.
L'équipage grimpe dans l'avion. Je m'installe entre les deux pilotes debout, un pied sur l'escalier du poste navigateur (il ne faut pas rester dans le champ des hélices).
Face à la piste : essai moteurs, montée en régime, lâcher des freins, l'avion prend son élan. Déjà la température d'huile a dépassé la côte d'alerte : 100°, 110°, 115°… L'humidité de l'air givre les radiateurs d'huile ; contre toute logique. Je ferme tous les volets et garde l'œil rivé sur les températures qui montent, qui montent… 135 Miles ; train rentré. La piste est derrière nous.
Un grand " PLOUF " au moteur droit, 2.000CV qui nous lâchent. L'avion fait une embardée terrible et le pilote a grand peine à maintenir la trajectoire. 
Par chance nous ne sommes pas chargés de bombes. La manette des gaz est revenue brutalement en arrière. Je la repousse violemment vers l'avant et le moteur reprend normalement son régime comme si rien ne s'était passé. Ouf on a eu chaud !
En peu de temps la glace des radiateurs d'huile fond. Les aiguilles reviennent vers la normale. J'ouvre progressivement les volet ('huile, culasses), diminue le régime moteur, règle la pression d'admission pour obtenir les paramètres optimum. Je peux enfin respirer. J'installe ma caisse à outils entre les deux pilotes, un coussin dessus. C'est mon siège ! La bouche d'air chaud dans le bas des reins, face au piédestal où je peux surveiller, à mon aise, la marche des moteurs. Le vol commence. La vie est belle. Nous sommes au-dessus de Vienne, aux environs de 1.000 pieds.
Voilà que l'avion descend dans le lit du Rhône, à frôler l'eau, une courbe trop prononcée, une traction sur le manche. Ce sacré Maraudeur continue de s'enfoncer, la berge arrive, il saute enfin pour replonger aussitôt.
Imperturbable entre les deux pilotes, j'observe sur l'avant ; je songe à tous ces câbles de bacs tendus en travers du fleuve (tous les ponts ayant été détruits) et me dit en moi-même : " tout à l'heure nous allons gagner le cocotier ". tout à coup, 

dans une courbe, nous croisons un train " qui vole plus haut que nous ".
Voici Pierrelatte. Le Commandant ROLLAND avait là une petite amie préférée. Nous voilà à hauteur du coq à tourner autour du clocher. La bille dans le coma, calée au coin de son instrument. Pas question pourtant de rappeler le chef aux réalités aériennes.
Nous reprenons enfin le cap au Sud, toujours au raz de l'eau. Istres, Marignane sont devant nous. Une activité intense y règne. Nous évitons de couper le circuit. La mer est là ; à 600 pieds d'altitude, en régime de croisière et en touristes nous longeons la Côte d'Azur. Nous voilà au-dessus des Iles : Château d'If, le Frioul et Ratonneau où, le 24 août, les Maraudeurs ont pulvérisé une batterie de gros canons qui tiraient sur Marseille. Dans la rade, une multitude de " Donald Duck ", petits points d'écume blancs, font une navette incessante entre les bateaux et la cité.
Toulon.
La ville a assez souffert. Dans la rade, les bâtiments de l'escadre navale gisent toujours le ventre en l'air depuis le mois de Novembre 1942.
C'est alors qu'apparaît au poste de pilotage le mitrailleur qui avait sans doute pensé " coincé la bulle " dans la tourelle de queue et que tout le monde avait oublié. Il n'était pas content, mais alors pas content du tout car il est tout meurtrit et sanguinolent. Mais il n'ose rien dire, hiérarchie oblige !
Le spectacle est magnifique. Il faut avoir vu le ciel bleu ; la mer bleu foncé, les forêts de pins vert bouteille et les roches rouges pour ne jamais l'oublier.
A notre droite, à nos pieds, la Corse que nous avons si souvent longée est là avec ses sommets couverts de neiges. De temps en temps émerge l'épave d'un LTC (bateau de débarquement) battue par les flots. Des carcasses de véhicules encombrent encore les plages ; çà et là des destructions ; il n'y a pas si longtemps la guerre est passée par là.
Menton est atteinte 90° à gauche. Nous prenons de l'altitude.
Avec émotion et tristesse, nous coupons la trajectoire de l'avion du Franche-Comté qui, le 4 août, a percuté la montagne. Le Sergent-Chef Mitrailleur DONATO était mon bon camarade : 50 ans après nous irons sur place leur rendre un ultime hommage.
Le Mont Blanc est là devant nous, inondé de soleil. Loin à gauche, le Ventoux se détache. Nous montons toujours. J'enclenche le deuxième étage des compresseurs ; nous sommes à 16.400 pieds, au-dessus du roi des sommets immaculé de blancheur. Un large 360°, le spectacle est grandiose. La respiration est un peu haletante et la température intérieure somme toute bien raisonnable.
Cap sur Lyon. Le pilote affiche un petit vario négatif. Le Maraudeur accélère, accélère, le badin monte. En un rien de temps, la ville est sous nos ailes. Le soleil d'hiver frôle l'horizon. Train et volets sortis, l'avion se pose en douceur et rejoint son parking.
Les pilotes coupent les moteurs ; le radio sa boite à musique. Pour eux le vol est fini. Déjà, par une savante gymnastique, je suis dans la queue. Je bloque les commandes, mets les housses, pose les caches, effectue les contrôles, commande les citernes pour faire les pleins, mets à jour la forme " one ", vérifie l'état des pneus et pour la nième fois j'ouvre toutes les purges.
Demain au jour l'avion sera prêt pour une autre mission ou tout au moins un autre vol.

Sgt Mécanicien Yves VINCENT
Gr 1/19 Gascogne.