Pour renforcer la
crédibilité de la force de dissuasion, le Mirage IV A devait posséder
des équipements de brouillage et de leurrage des menaces électroniques
susceptibles de s'opposer à la réussite de sa mission. Un spécialiste
trace un tableau des débuts de la guerre électronique sur Mirage IV A.
La création des Forces aériennes
stratégiques (FAS), au début des années 60, est simultanée d'un fait
nouveau dans les règles de la guerre aérienne. En 1958, au cours des
combats entre la Chine et Taïwan pour les îlots de Matsu et Quemoy,
des missiles remportent pour la première fois des victoires aériennes.
Il s'agissait de missiles air-air Sidewinder,
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Missile
air/air Sidewinder
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à autodirecteur infrarouge, utilisés par les F-86
taïwanais. En 1960, un avion U-2 américain est abattu par des missiles SA-2 à guidage électromagnétique au cours d'une mission de reconnaissance dans la profondeur du territoire soviétique.
La signification de ces deux événements est claire: la guerre aérienne et la guerre électronique
(GE) entrent dans une nouvelle ère, qui est celle des missiles. Pour assurer la réussite des missions nucléaires de dissuasion et la survie des équipages et des avions, il n'est pas suffisant de s'en remettre à l'intelligence de l'équipage, à qui on confie l'avion le plus performant en termes d'altitude, de vitesse et de capacité de manœuvre.
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F-86
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Pour prendre les bonnes décisions et utiliser au mieux les qualités de son avion, l'équipage doit disposer d'équipements de GE pour l'aider à élaborer la situation tactique, lui donner des informations d'alerte puis, par la conjugaison des manœuvres avec le brouillage et le leurrage des moyens électroniques, dégrader les capacités des systèmes d'armes de l'ennemi.
La menace au début des années 60
Pour les FAS, la situation au début des années 60 était relativement simple. Les bombardiers devaient traverser les défenses antiaériennes protégeant le Rideau de Fer et les approches des objectifs.
Pour les Mirage IV A, la menace prenait tout d'abord la forme indirecte des radars de surveillance déjà nombreux et performants. Peu automatisé, ce réseau de radars avait des délais de réaction trop lents pour traiter efficacement des bombardiers pénétrant à très haute altitude et mach 2 (environ 2 400 km/h soit 40
km/mn). Mais il était en progrès rapides pour faire face aux bombardiers américains B-58 (et B-70 en développement), comparables aux Mirage IV A par leurs performances.
Plus directement dangereuse, la menace terminale contre les Mirage IV A était constituée par des chasseurs et des batteries de missiles sol-air. En raison de sa très haute altitude et de sa vitesse, le Mirage IV A n'était pas vulnérable aux canons antiaériens de gros calibre pointés à l'aide de radars de tir. Les chasseurs étaient généralement moins rapides que le Mirage IVA et ne pouvaient l'attaquer qu'en face à face. En raison des faibles performances de leurs radars de bord et de leurs missiles, le Mirage IV A n'était dans le domaine de tir des chasseurs que pendant quelques secondes.
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Avion
espion U-2
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Dans la longue série, qui arrive aujourd'hui à SA-20, des noms codes donnés par l'OTAN aux missiles sol-air soviétiques, seuls les SA-1 et surtout SA-2 étaient en service. Les SA-3 terminaient leurs essais et expérimentations. L'efficacité des SA-2 avait été prouvée par la destruction d'avions U-2 américains en mission de reconnaissance au-dessus de l'URSS, de la Chine (pilotes
taïwanais) puis de Cuba.
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Missile
sol/air SA-2
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Pour tenir compte de la menace identifiée et de la mise en service ultérieure de menaces plus performantes, il fut donc décidé que les Mirage lVA seraient équipés de moyens de GE afin de détecter les menaces terminales (radars de tir) puis de les brouiller et de les leurrer.
La protection du Mirage IV A
Naturellement, la protection du Mirage IV A reposait en priorité sur les performances de l'avion : très haute altitude, très grande vitesse, grande manoeuvrabilité. En effet, à mach 2 un changement de cap de 30° permet de prendre à contre-pied les chasseurs qui préparent une " embuscade " 300 km en avant d'un bombardier supersonique.
Dès sa mise en service opérationnelle, le Mirage IVA était équipé de détecteurs-brouilleurs Agacette adaptés aux radars de tir des intercepteurs qui, à cette époque, travaillaient en majorité dans la gamme des fréquences comprises entre 8 et 10
gigahertz. Ces équipements étaient déjà très performants et offraient de nombreuses possibilités de réglages pour adapter la technique aux problèmes de l'emploi (ex: seuils de détection pour déclencher l'alerte et/ou le brouillage).
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Agacette
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Contre les radars de tir des SA-2, les
détecteurs- brouilleurs Mangouste, montés en externe dans des nacelles CT 51, constituaient une protection spécifique. Leur inconvénient était d'accroître la traînée et la consommation en carburant de l'avion, ce qui était pénalisant au plan de l'emploi à cause de la réduction du rayon d'action et de la manoeuvrabilité.
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CT-51
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Dans le domaine des leurres, différents modèles furent développés avant de mettre en service un lance-leurres capable du tir de cartouches contenant soit des paillettes électromagnétiques, destinées à donner des échos radars plus attractifs pour les radars de tir que l'écho de l'avion, soit des leurres infrarouges rayonnant plus d'infrarouge que l'avion et destinés à tromper les autodirecteurs des missiles infrarouges.
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Détecteur
radar arrière passif
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Ce lance-leurres était en interne à un emplacement libéré par une modification des
Agacette. A cette époque, le Polygone
GE, qui fut réalisé plus tard avec des simulateurs de radars soviétiques, n'existait pas. Les expérimentations des équipements et l'entraînement des équipages étaient donc conduits face aux moyens des armées françaises.
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Agassol
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L'efficacité des brouilleurs Agacette était d'autant plus redoutable pour les chasseurs que les effets sur les radars des Mirage III et Crusader étaient insidieux. Tantôt il y avait décrochage du radar et le pilote croyait que son radar était mal réglé‚ tantôt le radar perdait sa cible et poursuivait l'interception en " fonction mémoire ". Au lieu de " tirer " le Mirage IV A, le pilote
manœuvrait vers une cible fictive, créée par le calculateur de son système d'arme, à partir des paramètres de vol initiaux du Mirage IV A.
L'organisation et les hommes
Les résultats très positifs signalés ci-dessus ne furent naturellement obtenus qu'avec l'aide d'un soutien technique et d'une planification de l'emploi bien organisés.
A Mérignac, l'atelier contre-mesures électroniques du GERMAS Mirage IVA joua un rôle d'autant plus important que, dans les premières années, les équipages avaient tendance à considérer prioritaire le côté technique des équipements
GE.
L'organisation de l'emploi des moyens GE fut un peu plus longue à mettre au point. Ce n'est qu'après environ 10 ans d'existence des FAS que furent constituées à l'état-major des FAS et dans les escadrons, des équipes regroupant un membre d'équipage, un officier de renseignement et un spécialiste des équipements GE afin de bien intégrer la GE dès la planification de la mission.
Les FAS et la GE dans l'Armée de l'air
De même que dans les années 40, les équipages français des groupes du Bomber Command avaient été les seuls équipages de l'Armée de l'Air à utiliser des brouilleurs et des leurres (à l'époque on parlait des "windows"), les équipages des FAS étaient les seuls dans les années 60 à utiliser des équipements GE d'autoprotection.
Même si, en raison du secret qui à cette époque entourait encore plus qu'aujourd'hui les FAS et la
GE, l'expérience des équipages de Mirage IVA n'a pas toujours été immédiatement utilisée par les pilotes de la Force Tactique, les FAS jouèrent, dans le domaine
GE, un rôle moteur pour toute l'Armée de l'air.
Leurs besoins en renseignements électroniques sur les menaces situées derrière le Rideau de Fer furent une des raisons majeures du développement au sein de l'Armée de l'Air de puissants moyens de recueil de renseignements, embarqués à bord d'avions ou déployés sur des sites terrestres. Plus tard, les difficultés rencontrées pour répondre aux demandes très précises des FAS pour programmer les détecteurs-brouilleurs des Mirage IV A, furent à l'origine de la création de la division " renseignements électroniques " du 2e bureau de
l'EMAA.
Désormais, compte tenu des progrès technologiques, les équipements GE ont été remplacés par des matériels mieux adaptés aux menaces susceptibles d'être opposés aux Mirage IV P. Des exercices interarmées et interalliés pratiqués régulièrement permettent d'affiner les réglages, de mettre au point des tactiques et d'entraîner les équipages à la menace électronique.
Le général Jean-Paul Siffre
Premier chef de la division guerre électronique du CFAS.
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