S.S.B.S
Aiguillonnée par
la menace soviétique, la France se fixe en 1968 pour objectif la mise en
oeuvre d'un système d'arme Sol Sol Balistique Stratégique (S.S.B.S.)
d'une portée de 3 500 km avec une tête nucléaire kilotonique. En décodeur
civil : une fusée lancée du sol avec une charge nucléaire dans le nez . La France choisit d’enterrer ses
missiles en silos, plutôt que de les installer sur des supports mobiles (péniches;
trains ... ). En 1961, le futur
S.S.B.S. se profile: à savoir un
engin, d'environ 20 tonnes, pour une portée de 3 000 km et une charge
explosive de moins d'une tonne.
En 1963, le Général "de Gaulle
définit ainsi la Force Nucléaire
Stratégique de la France : d'abord
50 Mirages IV équipés bombes au
plutonium, plus tard des sous-marins
à propulsion nucléaire armés d'engins uranium / tritium. Entre ces,
deux générations, 20 à. 30 missiles Sol Sol Balistiques Stratégiques à têteau
plutonium. Des chiffres et des
mots froids comme l'acier et pourtant
le général s'appuyait sur la psychologie:
«... les Français sont un
peuple de terriens. Quand ils sauront que leur sécurité repose sur un
sous-marin, ils ne seront pas tranquilles [ ... ] il faut qu'ils aient
le sentiment que leur sécurité repose sur le plateau d'Albion ».
Deux
centres et leurs chercheurs travaillent à la mise au point des missiles : le Centre spatial de Guyane et le
Centre d’Essais des Landes
à Biscarosse. En 1971, le missile S.O.2 est opérationnel. C'est I’armée
de l'Air qui aura en charge cette, force de dissuasion., Il s'agit
maintenant de trouver un site stratégique où implanter ces missiles.
Pourquoi le plateau d’Albion?
Deux critères entrent en compte :
zone à faible densité humaine et sol capable de permettre un bon ancrage
des silos renfermant les missiles mais aussi capables d'amortir l'onde de
choc en cas d'agression nucléaire. Au début des années soixante, des
recherches sont menées en Corse, dans les Vosges, dans le Massif central
et dans la Drôme.
En 1963 deux plateaux restent en lice: Valensole et Albion.
Le plateau de Valensole est écarté
car son réseau hydrographique est incompatible avec la construction des
silos. Le sous-sol d'Albion est idéal: calcaire facile à travailler et suffisamment résistant pour encaisser
des chocs et hors de la zone sismique de la Durance. En surface, une étendue
quasi déserte à perte de vue, 785 hectares et 288 propriétaires.
Village le plus proche, Saint-Christol, 1600 habitants. Ville la plus
proche, Apt, à 30 km. En 1965, après la visite de Pierre
Messmer, la décision est prise d'y. implanter, 27 missiles. En 1967, ce
seront en fait 18 silos et deux Postes de Conduite de Tir qui seront
construits. Dès lors, il faut rencontrer les élus afin de préparer la
population à l'arrivée de près de 5000 consommateurs. Une population
qui n'a pas toujours envie de ces «nids de la mort »...
Travaux titanesques
Toutes les installations doivent résister
à une explosion nucléaire... C'est dire les tonnes de béton, de
ferraillage et de blindage qui vont être déversées sur et dans le
plateau.
Et d'abord, il faut créer ou
renforcer le réseau routier, le réseau électrique, le réseau de télécommunication,
l'adduction d'eau.
Il faut bâtir des logements
capables
d'héberger 700 à 800 familles, créer des écoles primaires, un cercle
mixte pour accueillir les militaires en transit...
Le creusement des silos commence en août 1966 et parfois, on tombe sur d'immenses avens qu'il
faut combler. 5500 m3 de roches sont extraites pour chaque silo et son
abri auxiliaire. Coût total, des travaux évalué en 1970: 7 milliards de
francs. Très Impressionnants, ces travaux
ne dénaturent pourtant pas le site puisqu'ils sont non seulement enfouis, mais que les militaires
veillent à les camoufler un maximum.
On est donc très loin du tableau que brosse Marie Mauron dans dans" Ombres et lumières de Provence" : « le plateau d'Albion... ce vaste
paysage à vocation de nature sauvage, retranché du monde par des barbelés,
morcelé par des routes seulement militaires et des installations
uniquement destinées à l'armée,, s'étend, lèpre de mort... » Cet
ouvrage symbolise toute la somme des polémiques et des idées reçues suscitées
par l'implantation des missiles à Albion dont on peut dire aujourd'hui,
par un retour de situation que l'histoire nous gratifie souvent, qu'elle fut bénéfique
à cette région y compris d'un point de vue écologique. En tout, le système dissuasif français
s'étend sur 800 km2 car il englobe les installations de
transmissions du Mont Ventoux, de la montagne de Lure et du Luberon1son
coeur étant sur le plateau d’Albion.
"Nids de bombes en partance"
(
extrait poème René Char)
Les 18 silos nantis chacun de son abri
auxiliaire, éparpillés sur le plateau à trois km l'un de l'autre,
attendent les 18 missiles.
Les silos étaient ainsi assez éloignés
l'un de l'autre pour éviter qu'une seule attaque ne détruise plusieurs
sites à la fois et assez proches pour que des frappes nucléaires
simultanées annulent leurs effets (deux explosions nucléaires simultanées
annulent une grande partie de leurs effets mécaniques). Un agresseur
devrait donc détruire un premier silo, puis un deuxième, etc. ce qui
laisse le temps de la riposte.
Ces missiles seront surveillés nuit
et jour et commandés à partir de deux postes de conduite de tir,
construits sous terre, à distance. Chaque poste de tir a en charge 9
zones de lancement. L'un se trouve dans la Drôme près de Reilhannette et
l'autre dans le Vaucluse près de Rustrel, à 35 km l'un de l'autre.
Véritables bunkers dissimulés sous
plusieurs centaines de mètres de roche, ces P.C.T.
sont conçus non
seulement pour résister à toute attaque nucléaire, mais aussi pour éviter
toute intrusion.
C'est le saint des saints. Des
galeries de 2 km de long y mènent Les travaux pour les deux P.C.T.
dureront de 1966 à 1970. Il
faut aussi construire la Base Aérienne 200. Les militaires de cette base
maintiennent en condition opérationnelle les missiles et les matériels
périphériques. Sur 406 hectares, cette base regroupe les bâtiments du commandement, les
services administratifs, un restaurant, une hôtellerie, une zone
technique (véhicules de liaison, entretien, énergie de secours, stockage
de carburants), une zone technique spécialisée pour la maintenance en
silo, un dépôt de munitions spéciales où travaillent aussi les
spécialistes du CEA pour l'assemblage des têtes nucléaires des missiles et
une zone d'instruction du personnel. Les couleurs sont envoyées le 5
juillet 1968 sur la B.A. 200 dont l'ensemble des
bâtiments, soumis à l'approbation de la commission des sites, s'efforce de
sortir des murs gris des casernes pour se rapprocher d'un style plus provençal.
Apt se transforme
En 1967, les 800 familles de militaires attendues seront logées sur la colline du Puits, à Apt, ville ayant un lycée. Malgré le désir premier de l'armée
de construire des habitations dispersées, ce sont des blocs dans le plus pur style HLM des années soixante qui viendront couronner et dénaturer la ville. La cité
Saint-michel comprendra 874 logements. Il faudra également bâtir 16 classes de primaire supplémentaires et six classes maternelles. En 1970 est inauguré le
cercle (Cercle Mixte de l'Air d'Apt ou C.M.A.A.) pour officiers et
sous-officiers, lieux de rencontre culturelles et sportives, on y mange, on y dort, on y danse, on y joue au tennis, on y profite d'expositions culturelles et d'activités artistiques. Toute l'économie
Aptésienne est fouettée par cet apport de population.
Un cocon en béton à 450 mètres sous terre.
A flanc de montagne on ne voit des deux postes, de tir qu'une plate-forme et un fronton de béton de deux mètres d'épaisseur. Seuls pourront y pénétrer les officiers de tir chargés de l'éventuelle mise à feu des
missiles.
Clôture électrifiée,
barreaux, grilles équipées de détecteurs, filet
anti-grenade, plaque blindée contre les tirs de roquette, gardes armés, détecteur d'attaque chimique, porte blindée, vitre blindée sans tain, fenêtre de tir permettant le lancement de grenade sur des visiteurs indésirables, portique de détection... le dispositif est impressionnant.
Une fois que patte blanche est montrée, ce sont les officiers de permanence dans leur trou à 400 mètres sous terre qui actionnent les portes d'accès de la galerie.
Embarquement dans un drôle de petit tracteur électrique, mais claustrophobes s'abstenir!
Une galerie souterraine de 4 mètres de diamètre, éclairée d'une lumière blafarde monte légèrement et interminablement Elle monte pour éviter une perverse neutralisation ennemie par inondation. Elle présente des coudes à angle droit destinés à casser une onde de choc consécutive à une explosion nucléaire. Même rôle pour une galerie de roche appelée galerie
anti-souffle. En cas d'effondrement de la galerie, un ingénieux mais terrifiant système de puits hérité des
Égyptiens permet de grimper jusqu'à l'air libre. Décidément, on a pensé à tous les scénario
catastrophe...
Encore une grille surveillée par caméra. Encore une porte blindée. Des clapets d'air, que l'on peut cependant fermer, ce qui permet une survie de " longue durée " aux deux officiers qui se relaient en permanence; on ne précise pas combien de temps on
survit.
Voici la capsule de tir, deux locaux protégés par 3 mètres d'épaisseur de béton armé, montés sur vérins hydrauliques pour résister aux secousses, équipés en cage de Faraday et bourré d'écrans.
A ce stade, on a envie d'air pur et de vastes horizons...

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