LE TIR

   Pendant les opérations qui suivirent le premier essai effectué à Mururoa, les conditions météorologiques se dégradèrent rapidement. Il fallut attendre que l’orientation des vents dans toutes les couches de l’atmosphère permette à nouveau d’assurer que les retombées ne déborderaient pas du secteur de sécurité défini.

   Une répétition du tir Mirage IV, effectué avec l’ensemble des moyens prévus, montra que tous les problèmes avaient été résolus de façon satisfaisante au cours de la préparation. Restait à attendre le changement du régime des vents. Jour après jour, l’attente se faisait plus pesante malgré les distractions apportées par les fêtes du 14 juillet célébrées avec l’ampleur habituelle par le village d’Otepa, proche voisin de la base.

   Enfin, le 18 juillet, l’espoir d’amélioration se transforma en certitude, confirmée par les multiples mesures relevées jusqu’à 5 000 km du champ de tir par les stations météorologiques et par les C-135 F.

   Le 19 juillet, le Mirage IV était mis en alerte dès 4 h du matin. Des "Neptune" de l’escadrille 8 S, également basée à Hao, avaient pris l’air, prêts à assurer la sécurité immédiate en cas d’accident.

   Dès que l’ordre de confirmation de tir fut donné, après les derniers relevés météo et les comptes-rendus des unités et appareils de surveillance du champ de tir, le Mirage IV décollait de la piste de Hao avec son arme nucléaire. Le bruit assourdissant de ses réacteurs trouait le calme de l’atoll et aussitôt les deux lueurs de la post-combustion s’éloignaient dans la nuit au-dessus du lagon.

   Le vol se déroula dans les conditions prévues, bien que l’appareil eut à traverser une zone de très forte turbulence pendant plusieurs minutes, alors qu’il volait à deux fois la vitesse du son.

   Une couche nuageuse recouvrait la majeure partie du champ de tir. Cependant, à bord du C-135 F, qui volait à quelques milles du lieu où devait se produire l’explosion, l’équipage pouvait suivre la traînée blanche du Mirage IV, découpant à grande vitesse un ciel que l’aube naissante commençait à éclairer.

   L’ultime autorisation de tir reçue, rideaux "anti-flash" en place, toutes vérifications effectuées, l’arme fut larguée. Le délestage de l’avion fut nettement ressenti par l’équipage. Une minute après environ, l’explosion avait lieu à l’altitude choisie. Il était 5 h 05, heure locale, soit 16h05 à Paris. Aucune perturbation n’affecta l’appareil qui se trouvait déjà à bonne distance, ni le fonctionnement de ses équipements.

   Sur le terrain de Hao, à quelques 500 kilomètres de là, soit la distance Paris-Bordeaux, l’éclair de l’explosion fut distingué pendant plusieurs secondes, formant un disque lumineux émergeant au-dessus de l’horizon. Pour une fois, les mécaniciens connaissaient le résultat de la mission avant même le retour de l’équipage. C’était pour eux tous, "mécaniciens avion", "équipement", "électronique", "armement", une récompense bien méritée qui couronnait une préparation durant laquelle ils n’avaient ménagé ni leur ardeur, ni leur enthousiasme.

   Dès la formation du nuage atomique où se mêlait le jaune, l’orange, le marron et le mauve, les « Vautour » de l’escadron « Loire » effectuaient leurs délicats prélèvements qui allaient permettre ensuite d’analyser avec précision les caractéristiques de l’explosion.

   Le premier bombardement nucléaire effectué par un Mirage IV venait d’être réussi.